Emilie Gex, directrice de la succursale de Lausanne, à gauche et Yasmine Biselx, directrice des travaux du génie civil à Sion, à droite
Qu'est-ce qui t’a inspiré à poursuivre une carrière dans le domaine de l'ingénierie ? Quel était l'élément déclencheur ?
Emilie Gex : "Je me souviens très bien de cette période, et j'ai même une petite anecdote à partager ! À l'époque où j'ai décidé de me tourner vers l'ingénierie, je ne venais pas du tout d'un parcours scientifique. Mes études secondaires étaient axées sur l'économie et le droit, et je me destinais initialement à des études en HEC ou dans un domaine similaire. Tout a changé grâce à un professeur exceptionnel de biologie. C'est grâce à lui que j'ai commencé à m'intéresser aux sciences. Il nous a sensibilisés à la beauté de la "mécanique du vivant ", ainsi qu’aux enjeux liés à la biodiversité, aux ressources en eau et en énergie, bien avant que les problématiques environnementales ne deviennent des sujets de société aussi présents qu’aujourd'hui.
À la fin des années 90, le changement climatique n'était pas autant au centre des préoccupations. Mais ce professeur a réussi à nous ouvrir les yeux sur ces enjeux, et cela a profondément résonné en moi. J'ai alors décidé que je voulais, une fois adulte, œuvrer dans un domaine où je pourrais agir en réponse à ces défis sociétaux majeurs. J'ai longtemps hésité entre des études en biologie, pour mieux comprendre et analyser les écosystèmes, et ce qui était alors appelé le génie rural à l'EPFL, désormais connu sous le nom de sciences et ingénierie de l'environnement, que j'avais découvert par un ami.
J'ai réalisé, notamment grâce aux journées portes ouvertes à l’EPFL, que c'était à travers des études d'ingénierie que je pourrais réellement agir et proposer des solutions concrètes, être actrice du changement. C’est ce qui a fait pencher la balance, mais j’aurais aussi adoré être biologiste.
Quant à mon anecdote, je suis allée consulter une conseillère en orientation pour m’aider dans mes choix d’étude. Sa réponse m'a sidérée : "Oh, vous savez, l'EPFL, c'est plutôt une école pour les garçons. Je vous recommanderais plutôt de faire biologie." En plein début des années 2000, qu'on puisse dire cela à une jeune fille en quête de son chemin m'a vraiment dérangée et irritée. Qui sait, cet épisode a peut-être renforcé mon désir de choisir l'ingénierie, pour faire mentir les clichés, pourrait-on dire."
Yasmine Biselx : "Quand j’avais 6 ans, je suis allée dans une vielle cave où j’ai découvert une magnifique voûte en pierre, depuis ce jour j’étais fascinée par la statique, la construction et l’ingéniosité de construction. Pour mes 10 ans j’ai reçu comme cadeau d’anniversaire la visite d’un tunnel en construction et me voilà, 25 ans plus tard, à construire moi-même ces objets qui m’ont tant passionné."
Peux-tu nous parler de ton parcours professionnel ? Quels ont été tes principaux défis et réussites jusqu'à présent ?
Emilie Gex : "Après avoir obtenu mon diplôme de l'EPFL en science et ingénierie de l'environnement en 2006, j'ai débuté ma carrière chez CSD en tant qu'ingénieure projet, où j'ai eu l'opportunité d'explorer divers domaines. Chez CSD, la variété des tâches était passionnante, allant des études d'impact aux évaluations de risques OPAM, en passant par la gestion de chantiers liés à la pollution des bâtiments et des projets dans le domaine de la gestion des déchets.
En 2011, j’ai passé une année dans l'industrie, avec un mandat chez Nestlé pour analyser la consommation d'eau de l'usine de Nescafé et proposer des solutions d'optimisation. C’était passionnant et parfaitement synchronisé avec un projet personnel qui me tenait à cœur. Après une année sabbatique de voyage autour du monde avec mon conjoint, j’ai été contactée par Félix Schmidt, alors Directeur et responsable de l'export chez CSD, pour rejoindre l'équipe travaillant sur les projets à l'étranger. J’ai tout de suite accepté, attirée par l'idée de continuer à explorer le monde et à utiliser mes compétences techniques et linguistiques. Ont suivi six années passionnantes, passées entre la Suisse, le Pérou, la Bolivie, l’Amérique centrale et l’Albanie, à appuyer des communes dans la mise en place de solutions pour la gestion des déchets, des industriels dans l’amélioration de leur processus et à collaborer avec les collègues en Suisse sur des études d’impact compliquées et des cours donnés en interne et à l’EPFL.
Une opportunité intéressante s'est présentée en 2019, lorsque j'ai été approchée pour diriger Movi+, une coopérative axée sur le développement de projets transversaux dans le domaine des transports publics, en particulier dans les services digitaux. J'ai accepté le défi et quitté CSD pour prendre la tête de cette coopérative.
Après deux années très stimulantes et enrichissantes à la tête de Movi+, j’ai été confrontée à un dilemme et ai finalement choisi de revenir vers le bureau de conseil et CSD, qui offre des possibilités infinies en termes de diversité des tâches et des projets. Rejoindre Pascal Helfer en tant que directrice adjointe de la succursale environnement VD en 2022 était l'opportunité parfaite de combiner mes intérêts pour la gestion d’entreprise, l’animation de groupes, l'environnement et la pluridisciplinarité. Depuis le 1er janvier, je suis directrice de la succursale de Lausanne chez CSD.
Le fil rouge en termes de défis et de réussite est d’avoir été, très souvent dans ma carrière, confrontée à des situations complètement nouvelles, dans des contextes qui m’étaient étrangers, en termes de langue, de culture, de domaines parfois très éloignés de mon champ de compétences et d’avoir été capable de m’y adapter."
Yasmine Biselx : "J’ai fait un apprentissage de dessinatrice en génie civil où j’ai touché à passablement de domaine. Passionnée par la construction, je voulais participer davantage à la construction à proprement dite. CSD m’en a donné l’opportunité en 2015 lors de la construction d’un réservoir d’eau potable. Suite à cela, j’ai suivi une formation pour une maîtrise de direction de travaux dans le génie civil et me voilà, quelques années plus tard, à construire tout ce qui peut être construit. J’évolue principalement sur des projets de chauffages à distance, les STEPs, les cours d’eau et les divers autres ouvrages.
Les plus gros défis sont pour moi la balance entre les coûts, la qualité et les délais sur des projets extrêmement complexes et pluridisciplinaires. Cette course contre la montre incessante nous pousse chaque fois au-delà de nos zones de confort mais fait ressortir ce qu’il y a de mieux en nous : l’adaptation permanente."
Peux-tu nous partager une histoire ou un moment professionnel dont tu es particulièrement fière ?
Emilie Gex : "Rien ne me procure plus de satisfaction que de voir l’intelligence collective d’un groupe se mettre en action et aboutir à une solution ou une idée co-construite, à laquelle personne ne serait parvenu seul.
Je n’ai pas d’exemple de fierté personnelle à mettre en avant, mais des réussites collectives, auxquelles j’espère avoir contribué !"
Yasmine Biselx : "Je crois que ça restera toujours le microtunneliers sous le Rhône qui portait mon prénom. Ce fut une magnifique aventure !"
Quelles compétences ou qualités t’ont été les plus utiles dans ta carrière d'ingénieure ?
Emilie Gex : "Il faut une grande capacité d'écoute, de compréhension et d'analyse pour gérer des projets complexes aux enjeux multidisciplinaires et souvent contradictoires. Il est essentiel de comprendre, analyser et traduire les besoins variés en objectifs concrets, tout en négociant avec les acteurs impliqués pour parvenir à un consensus. Des compétences techniques, un esprit analytique et une bonne communication sont nécessaires pour traiter ces enjeux et interagir avec des parties aux langages différents. Concrètement, le comptable ne parle pas pareil que l’ingénieur civil, qui ne parle pas pareil que l’ingénieur environnement ou le géologue. Ils n’auront pas le même langage, ni les mêmes priorités que l’architecte ou le politicien. Tous ces gens doivent pourtant s’entendre.
Je crois aussi que la persévérance et l'optimisme sont indispensables pour faire face aux défis persistants tout au long des projets. En adoptant une attitude facilitatrice et positive, on peut contribuer à trouver des solutions et à maintenir le progrès."
Yasmine Biselx : "La résilience et le sens de l’humour ! Sans oublier de réfléchir, inventer, imaginer, innover, souvent, vite et bien."
Peux-tu nous décrire un projet ou un problème complexe sur lequel tu as travaillé récemment et comment tu l'as abordé ?
Emilie Gex : "Je n’ai pas un exemple précis à partager, mais globalement, j’aborde les problèmes complexes en les découpant en petits problèmes abordables et en appliquant les concepts d’analyse, d’écoute et de reformulation décrits précédemment. Cela permet en général d’identifier la source du problème, de proposer des variantes, de les analyser, de les comparer objectivement et, si tout va bien, de résoudre le problème."
Yasmine Biselx : "Les projets pluridisciplinaires (génie civil, environnement et technique du bâtiment) sont nos défis majeurs en ce moment. Ils sont extrêmement intéressants mais demandent une faculté d’adaptation et d’apprentissage permanent."
Quels conseils donnerais-tu aux jeunes femmes qui envisagent de poursuivre une carrière en ingénierie ?
Emilie Gex : "D’y aller tout simplement ! Surtout de ne pas considérer son genre comme une barrière et de faire les choses qu’elles ont envie de faire et qui pour elles font du sens. On fait bien ce en quoi on croit !"
Yasmine Biselx : "Si tu veux changer le monde, commence par le construire !"